samedi 20 février 2016

Articles publiés dans le bulletin de la Société libre pour l’étude psychologique de l’enfant (1901-1917)

1901

Simon Th., Le développement du corps et de la tête chez les enfants anormaux, Bulletin de la Société libre pour l’étude psychologique de l’enfant, n°5, 15 octobre 1901, pp. 109-113.

C'est une question depuis longtemps en discussion parmi les anthropologistes, s'il y a une relation entre le développement phy­sique d'un individu ou les dimensions de sa tête et son développement intellectuel. Les résultats des recherches faites sont contradictoires. Mais, n'en est-il pas ainsi parce que le plus souvent les groupes d'enfant, comparés entre eux, sont trop peu différents au point de vue intellectuel. On pouvait espérer grossir les faits par l'examen d'enfants tels que leur état mental ne leur permet pas de recevoir instruction habituelle. Sans doute, même pour ceux-ci, ne savons-nous guère encore évaluer le degré d'écart qui les sépare des autres enfants et peut-être les différences qui paraissent considérables le sont-elles en réalité moins qu'elles ne semblent. Mais, elles doivent du moins être plus grandes qu'entre enfants intelligents et peu intelligents, mais également normaux.


Ce sont les enfants arriérés de la colonie agricole de Vaucluse qui m'ont servi de sujets d'étude. Dans cet établissement sont hospitalisés à peu près deux cents enfants de sept à dix-sept ans, du département de la Seine. Ils sont moins arriérés que les enfants placés à Bicêtre. Mais, il y en a cependant très peu qui puissent atteindre à leur certificat d'études. Le groupe est d'ailleurs assez hétérogène, comprenant des idiots sans aucun discernement et des débiles atteints de perversions instinctives, adonnés au mensonge, au vagabondage, qui passent quelquefois dans les classes des écoles primaires mais que leur absence de progrès et leur indis­cipline empêchent d'y maintenir.

J’examinerai : 1° ce qui a rapport an développement du corps ; 2° ce qui concerne la tête.

Les mesures prises pour apprécier le développement physique ont été les suivantes : la taille, le poids, le tour de poitrine, l'envergure et la largeur d'épaules... J’insisterai surtout sur les deux premières.

Comparons d'abord les chiffres obtenus à ceux fournis par Quételet, Roberts, Vierordt, Rowditch, etc. La taille moyenne des enfants de 9 ans est par exemple d'après ces auteurs de 124,l cm , pour les enfants de même âge hospitalisés à Vaucluse, elle est seulement de 115,6 cm, soit 8,5 cm au profit des premiers. Choisissons un autre âge : 12 ans ; la taille des enfants normaux est maintenant de 138 cm, celle des arriérés de 132 centimètres… Et ainsi de suite, l'écart restant à peu près constant, toujours supérieur à 5 centimètres quel que soit l'âge considéré.

Pour le poids, la différence est moins grande, mais encore sensible ; à 9 ans : enfants de Vaucluse, 2l kilogrammes ; enfant normaux, 25,5 kg — à 12 ans, enfants  de Vaucluse, 32 kilogrammes ; enfants normaux, 33 kilogrammes. 

Et l’écart paraît le plus souvent  trop supérieur  à celui signalé par Rey comme existant entre des enfants soumis à des conditions différentes (écoles aisées et écoles pauvres) pour ne devoir être attribué ici qu'à cette cause.

On pouvait d'autre part, comme je l'ai indiqué, partager les enfants de Vaucluse eux-mêmes en deux groupes : idiots et imbéciles, d'une part; débiles et dégénérés de l'autre. Retrouverait-on, entre ces deux groupes de niveau intellectuel différent, des diffé­rences analogues aux précédentes ? J'ai cherché pour cela quelle classe d'enfants fournissait à chaque âge le plus de mesures inférieures à la moyenne, quelle le plus grand nombre de mesures supérieures. Eh bien, encore ainsi, on trouve que ce sont les idiots et imbéciles qui fournissent le plus grand nombre de petites tailles ; les débiles au contraire le plus de tailles relativement élevées. De même pour le poids. Et si l’on envisage enfin l'ensemble des mesures prises (taille, poids, tour de poitrine, etc.), la différence grandit encore : un ensemble de mesures basses est beaucoup plus fréquent, un ensemble de mesures hautes beau­coup plus rare, chez les idiots et imbéciles, tandis qu'on observe l'inverse chez les débiles.

II doit donc y avoir également entre la croissance des uns et des autres des différences ; j'ai pu mesurer la taille des mêmes enfants à une année de distance: leur accroissement annuel est différent selon qu'il s'agit de débiles ou d'idiots : soit un enfant dont la taille à 11 ans serait de 1 mètre ; s'il s'agit d'un idiot, sa taille à 12 ans sera de 102,9 cm ; s'il s'agit d'un débile, de 103,5 cm… Et de même pour les autres âges.

Les mesures prises de la tête ont été celles indiquées par Broca dans ses instructions anthropologiques : diamètre antéro-postérieur, diamètre métopique, diamètre, transversal maximum, circonférence maxima, hauteur sous-naso-mentonnière, etc. Une soixantaine d’enfants arriérés de 11 à 14 ans ont été ainsi mesurés.

Je pensais, comme pour les mesures  précédentes, comparer celles-ci à celles trouvées par d'autres auteurs sur des enfants normaux. M. Binet mensurait à la même époque des enfants des écoles. Nous employions les mêmes procédés. La comparaison de nos chiffres paraissait donc légitime. Mais auparavant nous avons voulu cependant avoir un contrôle de l'un par l'autre, nous avons mesuré tous deux les mêmes enfants ; et nous avons reconnu   ainsi  à quelles conclusions erronées  pouvait aboutir la comparaison d’auteurs différents. Je n’en citerai qu’un exemple. Pour les enfants des écoles les moins intelligents, la valeur moyenne du diamètre frontal minimum était d'après Binet de 102,34 mm ; je trouvais au contraire que celle du même diamètre pour l'ensemble des enfants arriérés était dé 99,89 mm : soit un écart de près de 3 millimètres en faveur des premiers. Eh bien, cet écart est précisément celui qui existe toujours pour cette mesure entre nos deux chiffres, et résulte de notre manière individuelle d’opérer. Il faudrait pour comparer nos chiffres ajouter ici 3 millimètres au chiffre que j'obtenais. Les résultats deviennent alors presque identiques.

Restait donc seulement la possibilité d'utiliser les chiffres per­sonnels. J'ai eu recours de nouveau à la division des enfants en deux groupes. Mais alors, nouvel obstacle : la valeur moyenne du dia­mètre antéro-postérieur des enfants idiots et imbéciles est de 176,8 millimètres ; celle du même diamètre chez les enfants débiles est de 178,05 mm ; les chiffres respectifs pour le diamètre frontal minimum sont 99,98 et 99,84 et ainsi de suite pour les autres mesures ; les différences sont souvent de moins d'un millimètre : elles n'atteignent 2 millimètres que pour la distance sous-naso-mentonnière, plus grande, cette fois, chez les idiots ou imbéciles, où elle est de 63,88 mm, que chez les débiles, où elle est de 61,88 mm. Ces différences sont bien faibles. Elles restent dans les limites des erreurs possibles. On ne pouvait en tirer de conclusions fermes.

Puis, que représente une valeur moyenne ? Elle peut résulter de ce que contribuent à la fournir à la fois des chiffres très élevé et des chiffres très bas. C'est ce qu'il fallait élucider et voir si, à cet égard, les moyennes trouvées avaient même signification pour les idiots et imbéciles que pour les débiles.  

J'ai fait pour chaque mesure trois groupes des chiffres trouvés d'après leur valeur :

a — un groupe moyen de part et d'autre de la valeur moyenne obtenue : soit 175 millimètres la valeur moyenne du diamètre antéro-postérieur de l'ensemble des enfants arriérés de onze à douze ans, j'ai groupé ensemble tous les diamètres antéro-postérieurs compris entre 169 et 181 millimètres.

Puis, venaient en deux autres groupes, d'une part ;

b — tous les diamètres antéro-postérieurs d'une valeur  moindre que 169 millimètres et, d'autre part ;

c — tous ceux   de valeur supérieure à 191 mm. Voyons donc maintenant quelle est la part que prend chacun des deux groupes d'enfants à la constitution de chacun de ces trois groupes de mesures ?

Trois cas sont à considérer :

1° pour certaines mesures la différence entre les enfants comme précédemment, pour la taille, ne s'accentue, que dans un sens, et par exemple la petitesse du diamètre métopique, en rapport  avec l’inclinaison du front, est particulièrement fréquente chez les enfants les plus arriérés ;

2° plus souvent, et c'est le cas pour la majorité des mesures prises, les valeurs faibles et fortes sont l’apanage des idiots et imbéciles, les mesures moyennes celui des débiles. Mais, en outre, dans ces cas, c'est, pour certaines mesures (Circonf. Maxima, diam. transvase et bizygomatique, etc.), la fréquence de leur petitesse qui est la plus saillante chez les idiots et imbéciles ;

3° pour d'autres, au contraire, c'est la fréquence rela­tive de leurs fortes valeurs, et c'est le cas par exemple pour les dimensions de l'oreille, pour la largeur de la bouche, pour la hauteur sous-naso-mentonnière.

En résumé :

1° Le développement du corps paraît nettement subir chez les enfants arriérés un retard relativement à ce qu'il est chez les enfants normaux, et ce défaut est plus accentué chez les enfants idiots ou imbéciles que chez les débiles intellectuels ou moraux.

2° En ce qui concerne la tête :  

a. d'une manière générale, ses dimensions offrent le plus souvent chez les débiles des valeurs de  « juste milieu » relativement à ce qu'elles sont chez les idiots ou imbéciles, que les valeurs extrêmes paraissent au contraire caractériser ; et
  
b. plus particulièrement, la grande fréquence, chez ces derniers, de l’allongement du bas du visage, tend à donner à ce caractère une signification péjorative.

Mais, il resterait pour la tête à étendre ces recherches sur un plus grand nombre d'années, et à les poursuivre comparativement sur des enfants normaux. Ces premiers résultats paraissent cependant encourageants. En même temps ils démontrent :

1° l'insuffisance de la méthode des moyennes ; et
2° la nécessité de mensurations uniquement personnelles pour des recherches de ce genre.
 

1904

Simon Th., Sur le langage des enfants, Bulletin de la Société libre pour l’étude psychologique de l’enfant, n°16, Mai 1904, pp. 448-451.

Retranscription du texte à venir...