Simon Th., Le développement du corps et de la tête chez les
enfants anormaux, Bulletin de la Société libre pour l’étude psychologique de l’enfant, n°5, 15 octobre 1901, pp. 109-113.
C'est une question depuis
longtemps en discussion parmi les anthropologistes, s'il y a une relation entre
le développement physique d'un individu ou les dimensions de sa tête et son
développement intellectuel. Les résultats des recherches faites sont contradictoires. Mais, n'en est-il pas ainsi parce
que le plus souvent les groupes d'enfant, comparés entre eux, sont trop peu différents au point de
vue intellectuel. On pouvait espérer grossir les faits par l'examen d'enfants
tels que leur état mental ne leur permet pas de recevoir instruction
habituelle. Sans doute, même pour ceux-ci, ne savons-nous guère encore évaluer
le degré d'écart qui les sépare des autres enfants et peut-être les différences
qui paraissent considérables le sont-elles en réalité moins qu'elles ne
semblent. Mais, elles doivent du moins être plus grandes qu'entre enfants
intelligents et peu intelligents, mais également normaux.
Ce sont les
enfants arriérés de la colonie agricole de Vaucluse qui m'ont servi de sujets
d'étude. Dans cet établissement sont hospitalisés à peu près deux cents enfants
de sept à dix-sept ans, du département de la Seine. Ils sont moins arriérés que
les enfants placés à Bicêtre. Mais, il y en a cependant très peu qui puissent
atteindre à leur certificat d'études. Le groupe est d'ailleurs assez
hétérogène, comprenant des idiots sans aucun discernement et des débiles
atteints de perversions instinctives, adonnés au mensonge, au vagabondage, qui
passent quelquefois dans les classes des écoles primaires mais que leur absence
de progrès et leur indiscipline empêchent d'y maintenir.
J’examinerai
: 1° ce qui a rapport an développement du corps ; 2° ce qui concerne la tête.
Les mesures prises pour
apprécier le développement physique ont été les suivantes : la taille, le
poids, le tour de poitrine, l'envergure et la largeur d'épaules... J’insisterai
surtout sur les deux premières.
Comparons
d'abord les chiffres obtenus à ceux fournis par Quételet, Roberts, Vierordt,
Rowditch, etc. La taille moyenne des enfants de 9 ans est par exemple d'après
ces auteurs de 124,l cm , pour les enfants de même âge hospitalisés à Vaucluse,
elle est seulement de 115,6 cm, soit 8,5 cm au profit des premiers. Choisissons
un autre âge : 12 ans ; la taille des enfants normaux est maintenant de 138 cm,
celle des arriérés de 132 centimètres… Et ainsi de suite, l'écart restant à peu
près constant, toujours supérieur à 5 centimètres quel que soit l'âge
considéré.
Pour le
poids, la différence est moins grande, mais encore sensible ; à 9 ans : enfants
de Vaucluse, 2l kilogrammes ; enfant normaux, 25,5 kg — à 12 ans, enfants
de Vaucluse, 32 kilogrammes ; enfants normaux, 33 kilogrammes.
Et l’écart paraît le plus souvent trop supérieur à celui signalé
par Rey comme existant entre des enfants soumis à des conditions différentes
(écoles aisées et écoles pauvres) pour ne devoir être attribué ici qu'à cette
cause.
On pouvait
d'autre part, comme je l'ai indiqué, partager les enfants de Vaucluse eux-mêmes
en deux groupes : idiots et imbéciles, d'une part; débiles et dégénérés de
l'autre. Retrouverait-on, entre ces deux groupes de niveau intellectuel
différent, des différences analogues aux précédentes ? J'ai cherché pour cela
quelle classe d'enfants fournissait à chaque âge le plus de mesures inférieures
à la moyenne, quelle le plus grand nombre de mesures supérieures. Eh bien,
encore ainsi, on trouve que ce sont les idiots et imbéciles qui fournissent le
plus grand nombre de petites tailles ; les débiles au contraire le plus de
tailles relativement élevées. De même pour le poids. Et si l’on envisage enfin
l'ensemble des mesures prises (taille, poids, tour de poitrine, etc.), la
différence grandit encore : un ensemble de mesures basses est beaucoup plus
fréquent, un ensemble de mesures hautes beaucoup plus rare, chez les idiots et
imbéciles, tandis qu'on observe l'inverse chez les débiles.
II doit donc
y avoir également entre la croissance des uns et des autres des différences ; j'ai
pu mesurer la taille des mêmes enfants à une année de distance: leur
accroissement annuel est différent selon qu'il s'agit de débiles ou d'idiots :
soit un enfant dont la taille à 11 ans serait de 1 mètre ; s'il s'agit d'un
idiot, sa taille à 12 ans sera de 102,9 cm ; s'il s'agit d'un débile, de 103,5
cm… Et de même pour les autres âges.
Les mesures
prises de la tête ont été celles indiquées par Broca dans ses instructions
anthropologiques : diamètre antéro-postérieur, diamètre métopique, diamètre,
transversal maximum, circonférence maxima, hauteur sous-naso-mentonnière, etc.
Une soixantaine d’enfants arriérés de 11 à 14 ans ont été ainsi mesurés.
Je pensais,
comme pour les mesures précédentes, comparer celles-ci à celles trouvées
par d'autres auteurs sur des enfants normaux. M. Binet mensurait à la même
époque des enfants des écoles. Nous employions les mêmes procédés. La
comparaison de nos chiffres paraissait donc légitime. Mais auparavant nous
avons voulu cependant avoir un contrôle de l'un par l'autre, nous
avons mesuré tous deux les mêmes enfants ; et nous avons reconnu
ainsi à quelles conclusions erronées pouvait aboutir la
comparaison d’auteurs différents. Je n’en citerai qu’un exemple. Pour les
enfants des écoles les moins intelligents, la valeur moyenne du diamètre frontal
minimum était d'après Binet de 102,34 mm ; je trouvais au contraire que
celle du même diamètre pour l'ensemble des enfants arriérés était dé 99,89 mm :
soit un écart de près de 3 millimètres en faveur des premiers. Eh bien, cet
écart est précisément celui qui existe toujours pour cette mesure entre nos
deux chiffres, et résulte de notre manière individuelle d’opérer. Il faudrait
pour comparer nos chiffres ajouter ici 3 millimètres au chiffre que j'obtenais.
Les résultats deviennent alors presque identiques.
Restait donc
seulement la possibilité d'utiliser les chiffres personnels. J'ai eu recours
de nouveau à la division des enfants en deux groupes. Mais alors, nouvel
obstacle : la valeur moyenne du diamètre antéro-postérieur des enfants idiots
et imbéciles est de 176,8 millimètres ; celle du même diamètre chez les enfants
débiles est de 178,05 mm ; les chiffres respectifs pour le diamètre frontal
minimum sont 99,98 et 99,84 et ainsi de suite pour les autres mesures ; les
différences sont souvent de moins d'un millimètre : elles n'atteignent 2
millimètres que pour la distance sous-naso-mentonnière, plus grande, cette
fois, chez les idiots ou imbéciles, où elle est de 63,88 mm, que chez les
débiles, où elle est de 61,88 mm. Ces différences sont bien faibles. Elles
restent dans les limites des erreurs possibles. On ne pouvait en tirer de
conclusions fermes.
Puis, que
représente une valeur moyenne ? Elle peut résulter de ce que contribuent à la
fournir à la fois des chiffres très élevé et des chiffres très bas. C'est ce
qu'il fallait élucider et voir si, à cet égard, les moyennes trouvées avaient
même signification pour les idiots et imbéciles que pour les débiles.
J'ai fait pour chaque mesure trois groupes des
chiffres trouvés d'après leur valeur :
a — un groupe moyen de part et d'autre
de la valeur moyenne obtenue : soit 175 millimètres la valeur moyenne du
diamètre antéro-postérieur de l'ensemble des enfants arriérés de onze à douze
ans, j'ai groupé ensemble tous les diamètres antéro-postérieurs compris entre 169
et 181 millimètres.
Puis, venaient en deux autres groupes, d'une part ;
b — tous les diamètres
antéro-postérieurs d'une valeur moindre que 169 millimètres et, d'autre
part ;
c — tous ceux de valeur
supérieure à 191 mm. Voyons donc
maintenant quelle est la part que prend chacun des deux groupes d'enfants à la
constitution de chacun de ces trois groupes de mesures ?
Trois cas sont à
considérer :
1° pour certaines mesures la
différence entre les enfants comme précédemment, pour la taille, ne s'accentue,
que dans un sens, et par exemple la petitesse du diamètre métopique, en rapport
avec l’inclinaison du front, est particulièrement fréquente chez les
enfants les plus arriérés ;
2° plus souvent, et c'est le
cas pour la majorité des mesures prises, les valeurs faibles et fortes sont
l’apanage des idiots et imbéciles, les mesures moyennes celui des débiles.
Mais, en outre, dans ces cas, c'est, pour certaines mesures (Circonf. Maxima,
diam. transvase et bizygomatique, etc.), la fréquence de leur petitesse qui est
la plus saillante chez les idiots et imbéciles ;
3° pour d'autres, au
contraire, c'est la fréquence relative de leurs fortes valeurs, et c'est le
cas par exemple pour les dimensions de l'oreille, pour la largeur de la bouche,
pour la hauteur sous-naso-mentonnière.
En résumé :
1° Le développement du corps paraît nettement
subir chez les enfants arriérés un retard relativement à ce qu'il est chez les
enfants normaux, et ce défaut est plus accentué chez les enfants idiots ou
imbéciles que chez les débiles intellectuels ou moraux.
2° En ce qui concerne la tête :
a.
d'une manière générale, ses dimensions offrent le plus souvent chez les
débiles des valeurs de « juste milieu » relativement à ce qu'elles
sont chez les idiots ou imbéciles, que les valeurs extrêmes paraissent au
contraire caractériser ; et
b. plus particulièrement, la grande
fréquence, chez ces derniers, de l’allongement du bas du visage, tend à donner
à ce caractère une signification péjorative.
Mais, il resterait pour la tête à étendre ces recherches
sur un plus grand nombre d'années, et à les poursuivre comparativement sur des
enfants normaux. Ces premiers résultats paraissent cependant encourageants. En
même temps ils démontrent :
1° l'insuffisance de la méthode des moyennes ; et
2° la nécessité de mensurations uniquement
personnelles pour des recherches de ce genre.
1904
Simon Th., Sur le langage des enfants, Bulletin de la Société libre pour l’étude psychologique de l’enfant, n°16, Mai 1904, pp. 448-451.
Retranscription du texte à venir...